J’ai toujours un carnet sur moi, et pour la première fois j’en partage un extrait, n’ayant pas le temps d’écrire ici, trop prise dans la course belle et folle de ces dernières semaines.
L’île à venir – nuit du 4 au 5 mai 2016
Traces d’argile sur le visage, lumière rouge filant dans la nuit pleine, après les heures à l’atelier qui chaque fois m’emplissent âme et corps, je roule le long du chemin de fer. Je retrouve la barque chaleureuse, il me parle de la possibilité d’une île tout là-bas en Orient, et sans plus attendre, spontanément, je dis oui. On louerait des vélos, peut-être. Il y aurait des ruelles vertes, des fleurs aux parfums étranges, du silence et le brouhaha d’une langue inconnue. A minuit dix, le sort est lancé, dans la boîte virtuelle arrivent deux grands billets de liberté.
Le lac des signes – soir du 5 mai 2016
Il est tard, encore, quand enfin on se retrouve sur le radeau qui nous attache. Une fleur rouge s’est ouverte. Dans le lit défait, je confesse, évoquant le voyage semé le jour d’avant : « aujourd’hui, il y avait des jolis signes partout… » La mine rieuse, le regard émeraude, miroitant, il me susurre à l’oreille : « oui, ma belle, on appelle ça des biais cognitifs ». Silence rêveur, je vogue, j’entends billets cognitifs, petits mots que l’esprit nous laisserait, partout, pour ouvrir autrement le sens. Ce message des oiseaux ne peut-être qu’un autre signe….
Le jour où – 6 mai 2016
Au travail nous avons créé un petit club de lecture, c’est réjouissant, et des bouquins libres d’entrave sur les tablettes de mon bureau s’empilent en tours brimbalantes. Ce matin on me prête un beau livre, La langue des oiseaux, de Claudie Hunzinger. Je le feuillette, il parle d’une rencontre entre deux femmes, l’une réfugiée dans la forêt pour écrire, et l’autre, japonaise en exil, qui la touche de sa poésie. Étrange et fulgurante virée dans les failles et les brisures de la langue… Le verbe est puissant, le sujet m’intrigue et me touche.
Mes doigts clapotent, le titre apparaît à l’écran, et je clique sur un lien. Impulsion ou croisement, la sérendipité sereine encore, quand heureuse je découvre ce que je ne cherchais pas. Entre les lignes de l’article je risque une brève incursion, et très vite découvre que la langue des oiseaux est un art, un idiome magique et secret naissant de la proximité sonore entre des mots, créant alors des jeux : au sens de décalage, intervalle poétique et ludique ouvrant franchement tous les sens possibles, mais aussi simplement activité plaisante, jeu d’adresse, de rire et de hasard, à la fois distraction et recentrement sur soi.
(je songe qu’il faudrait que je reprenne ma réflexion tentaculaire sur le jeu, un sujet qui me passionne, feuillets noircis de figures, schémas et pensées fleurissantes )
Selon cet article, la Langue des oiseaux « suggère d’autres mots comme pour, à la fois, les cacher et en donner une trace détectable», et cet adjectif là m’interpelle. Cela parle aussi du tarot de Marseille, dont on dit qu’il tire « de 22 lames ses leçons » chuchoté aussi « devin de l’âme, c’est le son ». Langue cryptée, donc, immense territoire à creuser et à étendre.
Le soir, « chez-nous » comme on dit dans ce pays qui devient aussi le mien, on accroche ensemble les filets de lumière sur le radeau-balcon, et la nuit bleue qui nous prend est longue, dense et belle, une nuit qui garde en elle cent mille traces du jour, de ce jour si spécial, et de tout ceux qui viendront.