La nuit Séville

Encore une ville où nous marchons quand la nuit vient.

Pénétrante cité, les pavés résonnent, ricochent le son de nos voix aux murs de chaux qui s’effritent, sous le clocher immense de Giralda. Autrefois elle était minaret dominant la Grande Mosquée almohade de Séville la belle. Soeur jumelle de la Koutoubia de Marrakech, par au delà des mers les tours délicates relient les deux cités, rappelant à leurs fidèles – chrétiens, musulmans – qu’ils prièrent dans les mêmes lieux, s’aimèrent sur les mêmes terres. Et le passé commun, les guerres, les passions, les splendeurs durement bâties emplissent soudain nos mémoires, les yeux coulent dans l’eau du fleuve, se perdent. Ascendance du regard jusqu’au sommet de la catédrale, caresses des pierres, soupirs, elles ont porté l’Histoire, supporté le poids de fois contraires, pierres sacrées, pierres bénites.

Al wadi al kabir, la grande vallée.  Nous marchons lentement  parmi les hautes herbes tendues au ciel, exubérance chevelue et lignes diagonales, ombres suaves sur le fond d’or du soleil couchant.Le fleuve Guadalquivir  roule sur les lèvres, roulent ses eaux longues et traversantes, bleutées sous la voûte aux étoiles.

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Los Reyes Magos

Nuit mascarade, oublié le cordon de la bourse que demain tu devras serrer, serrer sur un peu d’air, rien, plus rien sous la dent, sous l’oreiller envolés les billets. Au soleil ta bière, tu comptes en vain les bulles qui en minces caravanes remontent à la surface, deux mille trois mille cinq mille, et le temps passe et tu te lasses, la buée sur ton verre quand tu souffles dedans, l’ennui s’essouffle pourtant. Des heures à tuer, des heures, désœuvrement  Le boulot c’est fini, ciao, basta. Le boulot c’est pour eux, les patrons, les magnas, vous les petits, les cons, les gars, virés à l’aube du grand délabrement, tes potes et toi les premiers partis cette année là.

Tes ongles crissent sur la table de verre, les couper, oui, c’est vrai que tu pourrais, tu as du temps maintenant, à la pelle que tu en as, la même pelle lourde et un peu sale que celle avec laquelle tu creuserais ta propre tombe, la même peine je te dis, lourde et sale.

Minuit passé et les gosses s’esclaffent, « papi mira lo que tengo » des bonbons plein les mains. Cent mille kilos de bonbons jetés en l’air, rien qu’ici, tu te rends compte le bordel?  Un sac plastique éventré traîne à tes pieds, tu te sens comme lui : vieux et les entrailles crevées. On vous balance les sucreries, oh la douceur, mais sur ta langue sur ton coeur c’est bonjour amertume, de cette tristesse grosse et sèche qui ne passe pas. Tu fumes un peu, tape des mains la clope au bec, le dos posé contre un vieux réverbère, la foule grossit, les gamins crient. Tout va bien, tout va bien dans c’pays.

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