Le temps des fêtes

L’âge nouveau de la liberté d’esprit, après les années d’école étirées bien longtemps. Légèreté ; voici venu le temps devant soi, sans presse et sans articles obligatoires, sans rendus annotés et sans mémoire. Rien que soi vagabond, affranchi et souverain, émiettant des idées folles sous les draps, soi paresseux et ivre allant dormir trop tard, écoutant la pluie des heures, rêvant à la suite et à ses promesses.

Décorer le sapin le 21 décembre avec du papier du ruban des bricoles, puis improviser un brunch de Noël avec les êtres tendres qui habitent chez nous, au 5159.

Divaguer longtemps, danser pieds nus dans la maison désertée pour les fêtes. Réveillonner dans des familles inconnues, chaleureuses, parler anglais, chanter arabe, portugais, italien, trinquer en chinois, donner le biberon à des jumeaux paisibles en s’imaginant mère peut-être bientôt, on ne sait pas. Jouer.

Retrouver des âmes précieuses : on se plonge dans les photographies de nos anciens voyages, on échange sur ceux qui viendront. Recevoir de jolis présents, se souvenir du passé avec tendresse, espérer les jours à venir.

Ecrire une lettre, rater des dessins, humer l’odeur des muffins dans le four, écouter une jolie voix, boire du vin au lit, regarder des vieux films en noir et blanc, lire de la poésie et des récits d’aventure, l’attendre, rire, marcher sous la belle lumière de fin décembre, prendre l’accent pour voir, écrire d’une traite un chapitre de roman, accrocher au mur de la chambre le tableau d’une amie, éteindre le réveil et dormir trop longtemps.

Oh, comme il réchauffe l’âme, le temps heureux des fêtes….

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Le salon vide

Wind of change…  

Les épaules dénudées sous les éboulis de neige : c’est mon costume, la vieille peau qui me quitte, peu à peu, glisse de mes bras et s’effile sans bruit aux nouvelles caresses.

Tu te souviens, je me demandais : est-ce qu’on est vraiment adulte, là, est-ce que ça commence maintenant? Et voilà que j’embrasse de fines ridules et que je paye mes dettes, et que je fais des choix, ferme des portes, rie les yeux graves.

Je mets les souvenirs les uns à côtés des autres, en rangs serrés dans des petites boîtes. Coulisses de la mémoire aux rideaux pourpres : c’est flou et c’est mêlé, je ne veux rien savoir, pas maintenant, pas déjà… Si c’est passé, ce n’est plus, si ce n’est plus, c’est un peu triste, quand même. Ne trouves-tu pas?

Je pleurais ce jour-là, dans l’appartement vide, sur les parquets cirés. Je pleurais parce que je savais que tout ce que l’on avait cousu, tissé serré, fils mêlés, baisers, tout ça un jour viendrait s’évaporer sur nos paupières closes et que l’on vendrait nos meubles, décrocherait les photos radieuses, se dirait adieu, tiens adieu bonne route – elle sera belle.

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A la cime du monde enneigé

Avant l’aube, encore tout engourdis de sommeil, il faut quitter la quiétude chaleureuse du lit pour la morsure du froid dehors. Marcher, rouler, passer une frontière, s’assoupir et rouler encore.

A l’ascension de la montagne blanche. Avancer sous les arbres endormis, s’enfoncer dans la neige, et puis se réjouir du poétique spectacle que la nature nous livre, de ces cristaux minuscules qui virevoltent en poudre scintillante, formant aux cieux d’azur d’étranges arcs-en-ciel que l’on s’attache à la rétine, fascinés.

Tous les muscles se tendent, pas après pas l’on gravit les chemins inclinés, passe les ruisseaux gelés et les branches des arbres que d’anciennes tempêtes ont renversé à terre, tronc à l’inverse du ciel.

 Marcher sans faiblir, vaciller parfois, le corps instable dans la rude pente nous menant au dernier sommet, ce sommet qui pour un temps deviendra le toit du monde.

Le vertige est léger, le paysage immense. La vie avale, nous avale heureux, caresses de brumes sur les monts assoupis, armées de pins aux branches de glace, la neige épaisse et douce qui recouvre ce que la roche avait d’abrupte, amadouant les pics et les angles, les peurs et les aspérités.

Tout en haut le regard se perd dans les marées sublimes, les longues marées de crêtes et de nuages, de cimes vaporeuses et de voûtes arborés, de dentelles évanouies et de courbes dans l’ombre, les montagnes semblant soudain s’étendre jusqu’à l’infini et bien après…

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Photographies : le talentueux  Frédéric Le May 

Entre-deux

Douce la vie d’entre-deux. Aube, silex, soir du chien au loup, course à l’affût des dernières lueurs et de la nuit ensemble, jour épris d’obscur, noir luminescent.

Dans la chambre, la vie coule, simple. Livre ouvert, page pliée.

Je ne sais pas quitter, mettre fin. Crains pareillement l’émotion brute des retrouvailles, la fièvre des aéroports pour une arrivée, un départ. Cette embrassade-là, qui ne peut ressembler aux autres. Je n’aime ni le début, ni la fin.

Je préfère de loin la vie au milieu, la banalité douce de l’entre deux, des matins pareils, tasse de café oubliée pas finie, maille défaite dans ton pull, poème griffonné, dessin du doigt sur le dos de celui qui s’endormira d’abord. Entre le sommeil et le jour, la nuit et le reste. Les premières odeurs de ta peau, me laisser assaillir.

Ce dont peut-être, les autres ne se souviennent pas. La beauté du geste infime, de ce baiser-là engourdi, à 8h02 derrière ton oreille, la demi-sensation.

Ce qui reste, c’est celà. L’entre deux, le presque rien.
Le non-évènement. Le minuscule qui flottera toujours, entre la mémoire et l’oubli, l’amour et le néant.  Les kilomètres de petites choses qui nous liaient, entre (nous) deux.